Depuis plus d’une décennie, Aishy explore la création visuelle entre graphisme, photo et vidéo. De l’imprimerie familiale aux campagnes internationales pour des marques de tech ou d’automobile, en passant par une exposition à Angers brutalement interrompue par le Covid et un long séjour en Asie, il a construit un univers où la nuit, la couleur et les villes futuristes tiennent le premier rôle. Ambassadeur “Insiders” pour Adobe France, il revient sur son parcours, sa “patte” et sa manière d’aborder l’IA. (Photo d’ouverture : © Aishy)
Quel est votre parcours ? Quel a été le déclic qui vous a fait basculer vers la création visuelle ?
Je travaille dans le domaine créatif depuis un peu plus d’une décennie. J’ai commencé comme graphiste print dans une petite imprimerie familiale. J’intervenais sur toute la chaîne graphique : conception, impression, finitions… Avoir la main sur toutes ces étapes était génial pour comprendre les contraintes et les défis du passage de l’écran au réel. Un problème apparaissait à l’impression test, je retournais sur Illustrator ou InDesign, parfois les possibilités de finition donnaient des idées pour repenser le fichier… C’était une sorte de ping-pong créatif entre virtuel et physique.
En parallèle, après mes journées de travail, je créais pour YouTube où je publiais des vidéos parfois quotidiennement. D’abord autour du jeu vidéo, puis, après l’achat de mon premier appareil photo en 2014 (un Nikon D3200), j’ai ancré mon contenu dans le réel. J’ai laissé de côté mes mondes futuristes et irréels pour sortir capturer l’environnement qui m’entourait. Illustrator et InDesign ont progressivement cédé la place à Premiere Pro et Lightroom.
Après plusieurs années à développer mes compétences de manière autodidacte en photo et vidéo, j’ai ressenti l’appel de diriger ma carrière dans cette direction. Je n’avais plus envie de rester toute la journée dans mon bureau : j’avais besoin de contact, de sens et de mouvement.
En 2017, j’ai rejoint une agence de communication, d’abord dans le pôle vidéo. On m’envoyait en solo ou en équipe un peu partout en France et à l’étranger pour documenter, capturer, réaliser des interviews vidéo que je montais ensuite sous Premiere et After Effects. J’avais aussi accès à un grand studio, ce qui me permettait de travailler la lumière, les décors… Je suis devenu un vrai petit couteau suisse de la vidéo.
Comme j’avais déjà montré mes compétences en photo, on m’a rapidement confié le lead sur les shootings. Mon œil de graphiste et mon amour des couleurs se sont naturellement intégrés dans ma manière de faire et traiter mes images, et ça a beaucoup plu aux clients.
Un moment important a été un voyage au Japon : je suis parti juste après Noël 2019 jusqu’à fin janvier 2020, alors que je préparais une exposition photo, « Angers, la nuit », commandée par la ville. Je me suis dit que ce serait une bonne idée d’aller chercher l’inspiration dans un pays qui m’a toujours attiré photographiquement pour mieux photographier ma propre ville ensuite. Ça a été un vrai déclic, un renouveau pour mon œil de photographe. On peut regarder tous les jours la même chose sans en voir les subtilités ; détourner le regard quelque temps permet de redécouvrir les volumes de son environnement.
Je suis rentré du Japon, j’ai terminé la préparation de l’exposition, qui a ouvert en mars 2020 au cœur de la bibliothèque municipale. Beau démarrage, beau vernissage… puis dix jours après, le Covid frappe, confinement, fin de l’exposition.
J’ai profité de ces longs moments à la maison pour partager en ligne mes images de ce voyage. Elles ont obtenu beaucoup d’engagement, plusieurs sites internet ont republé mon travail. Un an après ce voyage, j’ai commencé à recevoir des opportunités. J’ai décidé de quitter mon agence en décembre 2021 pour démarrer une aventure de free-lance en plein Covid.
Vous êtes à la fois directeur artistique, photographe et réalisateur. Comment ces casquettes s’articulent-elles dans votre travail ?
J’interviens sur différents aspects selon les projets. Parfois, un client vient vers moi parce qu’il aime mon univers mais ne sait pas précisément ce qu’il souhaite créer. Dans ces cas-là, ma mission est d’imaginer quelque chose de cohérent avec sa vision, ses objectifs, son budget et les délais.
Je pense par exemple à une campagne de lancement de téléphone pour realme, un fabricant basé à Shenzhen appartenant au groupe OPPO. Ils appréciaient vraiment mes photographies de nuit et m’ont demandé d’imaginer un shooting photo et vidéo pour montrer la puissance du capteur photo du téléphone. J’ai écrit un script, réalisé un storyboard, puis organisé le shooting dans les rues de Paris. Les images produites ont ensuite été déclinées dans toutes les langues lors du lancement. Pour moi, c’était un pari réussi, parce que la caméra est un élément clé dans le choix d’un téléphone aujourd’hui. L’idée était de montrer qu’avec un simple téléphone et un peu de créativité, on peut obtenir de supers résultats.
Dans un autre registre, lors d’un shooting vidéo pour Peugeot, on m’a laissé carte blanche sur le plateau pour mettre en avant deux nouveaux véhicules avec mon univers. La contrainte : rester au plus proche des couleurs d’origine des voitures, ce qui n’est pas évident quand le color grading est un élément principal de mon travail. Dans ce cas précis, le gros du travail avait déjà été fait en amont en pré-production : stylisme, lumière, ambiance plateau. La couleur était maîtrisée en amont. J’ai trouvé le parallèle avec mon univers futuriste dans le montage et les mouvements de caméra, en imaginant la voiture comme l’équivalent d’un vaisseau spatial. Le résultat restait cohérent avec ma patte et respectait les guidelines de Peugeot.
C’est pour cela que toutes mes casquettes se complètent. Ma manière de travailler évolue avec chaque projet. Photographie, réalisation et graphisme forment un tout dans mon bagage créatif pour répondre aux besoins des clients.
Comment définiriez-vous « la patte Aishy » ? Quel est votre univers créatif ?
Mon univers puise son inspiration dans différents médias : le cinéma et le jeu vidéo, les villes futuristes et dystopiques comme dans Blade Runner, Matrix, ou les jeux Cyberpunk, Deus Ex, Stray. J’aime aussi le rendu cinématique de films comme Drive, le cinéma de Wong Kar-wai, la cinématographie de Denis Villeneuve me touche énormément.
Mon ambition est de proposer une vision alternative de notre environnement à travers mes photographies, parfois dans une démarche futuriste ou cinématographique. J’ai envie d’offrir un voyage par la couleur et par les compositions, d’inviter le spectateur à voir différemment, à s’évader le temps d’une série photo, sans forcément chercher le réalisme. Je tiens néanmoins à garder un univers cohérent dans ma manière de travailler la couleur. On peut facilement détruire une image à la retouche en poussant trop les réglages ; j’essaie au contraire de garder une harmonie et d’avoir des images riches en nuances profondes.
À travers différentes palettes – rouge, bleu-violet, cyan-vert – j’exprime des intentions distinctes selon les choix de couleur. J’aime parfois amener un sentiment de solitude, montrer une ville vide la nuit qui s’exprime dans le silence. J’imagine souvent un personnage invisible dans mes images, ou plutôt derrière la caméra : un fantôme errant dans la nuit, qui ne sait pas qu’il n’appartient plus au vivant, et dont les clichés seraient le seul moyen de communiquer avec l’autre monde.
Mes images documentent mes voyages et mon approche de ceux-ci. Van Gogh disait : « Je pense souvent que la nuit est plus vivante et plus richement colorée que le jour », et c’est dans cet état d’esprit que j’aime découvrir une ville, ou même un petit village au milieu des montagnes. C’est là que mes images prennent vie : dans le calme de la nuit, en prenant mon temps.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la photo, la vidéo et l’essor de l’intelligence artificielle ?
On traverse une période floue. Il est de plus en plus difficile de déceler le vrai du faux sur les réseaux, même s’il existe encore de nombreux indices permettant de reconnaître si un contenu est généré par l’IA ou non.
De mon côté, j’utilise surtout des fonctionnalités de nettoyage pour enlever rapidement des éléments dans mes images, un process qu’on effectuait déjà avant l’IA mais qui était bien plus long. J’aime capturer et créer des images par moi-même : l’idée n’est pas d’arrêter cela, mais d’utiliser l’IA comme un outil au service de ma création. C’est aussi très pratique pour du moodboard en amont. J’ai parfois reçu des briefs avec des visuels générés par IA pour donner l’intention du shooting photo à réaliser.
Tout l’intérêt de faire les choses soi-même, c’est aussi de comprendre comment composer et rendre les couleurs harmonieuses entre elles. Par exemple, apprendre à dessiner permet de comprendre les volumes, les ombres et les lumières, d’être curieux sur le fonctionnement d’un objet ou sur l’anatomie. Être artiste, c’est avant tout être curieux de ce qui nous entoure, et je pense qu’il ne faut pas perdre cela.
L’IA rend le premier pas dans la création plus accessible à des personnes qui auraient pu être freinées par le coût ou la complexité des logiciels. Ce premier pas est aujourd’hui plus simple à faire. Peut-être que certains, après avoir développé leurs premières idées via des prompts, auront envie de pousser plus loin en créant par eux-mêmes, ou en imaginant les idées qui fabriqueront les campagnes de demain.
Cette technologie est déjà là, on ne pourra pas la faire reculer. Il va falloir apprendre à s’en accommoder et l’utiliser intelligemment. L’idéal serait d’avoir une législation claire autour de son utilisation. Pour l’instant, il existe des solutions comme le Content Authenticity Initiative initié par Adobe, qui permet d’apposer une marque dans les métadonnées du fichier et sur le cloud, indiquant qui est l’auteur d’une image, comment elle a été créée, et s’il y a eu utilisation d’IA ou non. C’est un premier pas pour la fiabilité et la protection des contenus et des auteurs. Il y a un vrai sujet d’appropriation de style et de propriété intellectuelle qu’il est encore difficile de surveiller.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ? Comment imaginez-vous la mise en valeur de vos images ?
Je viens de rentrer en France après un peu plus d’un an passé en Asie, entre le Japon, la Thaïlande, le Vietnam, et huit mois à Hong Kong. Je n’aime pas trop me prononcer sur mes projets en cours ou à venir, mais je peux dire qu’actuellement, je commence un travail de curation de l’ensemble des images que j’ai capturées durant cette année. L’enjeu est de trouver les meilleures manières de les présenter et de les mettre en lumière.
Les réseaux sociaux font évidemment partie de l’équation pour partager mon travail, mais en tant qu’ancien imprimeur, j’ai un fort attrait pour le papier et l’encre. Mon travail a aussi vocation à s’exprimer sur ce médium.
En parallèle, je continue de créer du contenu en collaboration avec différentes marques qui font sens avec mon activité. Je ne me définis pas comme un influenceur, mais j’ai constaté que mon profil résonne avec les besoins de communication de certaines marques et que je prends plaisir à imaginer des projets avec elles pour créer et inspirer d’autres créateurs.
Vous êtes « Adobe Insider » en France. Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?
J’ai la joie d’être Insiders Adobe France depuis janvier 2022, c’est un peu comme être ambassadeur. On apparaît régulièrement dans les contenus Adobe France ; l’idée, c’est que la communauté des créatifs puisse nous identifier et parfois nous poser des questions. On est un peu des porte-parole d’Adobe en France. On est régulièrement briefés sur les nouveautés afin d’avoir les connaissances pour en parler, surtout lorsqu’il y a de grosses annonces, et pouvoir les présenter correctement.
Être Insiders, c’est aussi appartenir à un petit groupe d’une quinzaine d’artistes français avec lesquels les échanges sont faciles. C’est agréable d’avoir cette sensation de groupe, surtout quand on travaille seul de chez soi et qu’on n’a pas forcément de collègues. On se soutient, c’est fédérateur, et on se sent vraiment épaulés par les équipes Adobe.
On a un support un peu privilégié : on échange en direct avec les équipes, on peut participer à des réunions avec les équipes produits si l’on souhaite approfondir un sujet ou une application.
On a aussi l’occasion d’aller sur des événements Adobe ou partenaires. J’ai eu la chance de participer à trois éditions d’Adobe MAX à Londres, Miami et Los Angeles. C’est là qu’Adobe annonce les grosses nouveautés produits et c’est un grand moment de cohésion avec la communauté créative. J’ai également participé à deux Summit, des journées avec les équipes qui travaillent sur les apps qu’on utilise au quotidien. On y donne nos feedbacks, on échange en one to one, on explique comment on utilise les applications et quels sont nos besoins. Ce sont de super discussions, et pour moi c’est extrêmement gratifiant de participer au développement et à l’amélioration des apps que j’utilise tous les jours.
Je me souviens par exemple, d’un Summit où j’avais travaillé sur Photoshop sur iPhone, qui a été annoncé et lancé un an plus tard.
Comment êtes-vous devenu Adobe Insider ?
Durant le Covid, la personne en charge du programme m’a contacté pour intervenir lors d’une petite visioconférence thématique pour les Insiders, afin de garder du lien. On a eu une super discussion tous ensemble, on a bien sympathisé. Adobe m’a proposé de rejoindre le groupe par la suite, et notre première activation a été d’aller au Venezia Photo Festival en 2022 pour représenter Adobe et communiquer sur le festival.
Adobe organise des projets qui font sens avec chacun : des Insiders Days pour se retrouver dans leurs locaux, faire quelques activités ensemble, échanger sur nos actualités. On se retrouve aussi souvent en début d’année pour se transmettre nos vœux et faire le point sur l’année passée.
Il n’y a pas de « moyen officiel » pour devenir Insider. Adobe fait travailler de nombreux artistes sur les réseaux, insiders ou non. Si vous aimez les produits, l’idée est simplement de continuer à partager vos créations, à montrer comment vous utilisez les logiciels. Peut-être que l’équipe vous écrira : elle surveille beaucoup ce qui se passe sur la toile artistique.
De mon côté, j’avais déjà un peu travaillé avec Adobe. J’ai eu l’honneur d’être commissionné par le studio Adobe de San Francisco pour travailler sur l’identité produit de Lightroom 2022 : une de mes photos s’est retrouvée en splash screen, l’écran d’ouverture du logiciel, pendant un an. C’était une belle opportunité et le début d’une collaboration déjà longue avec Adobe.
En collaboration avec Adobe

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